Mag N°325 novembre 2015


Le beaujolais en Fête avec Georges Duboeuf

Pouvez-vous nous raconter en quelques mots l’histoire de la maison Duboeuf ?

 

Je suis née à Pouilly-Fuissé où mes parents, grands-parents et arrières-grands-parents étaient vignerons depuis quatre siècles. Comme j’ai perdu mon père à l’âge de deux, c’est mon frère (de onze ans mon ainé) qui m’a appris le métier du vin. Avec mon vélo, j’allais à la rencontre des restaurateurs pour leur faire goûter mon Pouilly-Fuissé. Petit à petit, ils me demandaient d’autres vins comme du Morgnon ou du Genas… C’est ainsi que je suis parti à la rencontre des vignerons. Comme ils ne mettaient pas leur vin en bouteille, j’allais de vignobles en vignobles avec un camion tout équipé qui permettait de faire de la mise en bouteilles à façon. Ensuite, l’idée m’est venue de réunir tous ces vignerons sous le label commun L’Écrin Mâconnais-Beaujolais. Nous étions les premiers à faire cela à l’époque. L’un d’entre eux m’a vendu son négoce de vin à Romanèche-Thorins (aujourd’hui le Hameau du vin) et l’on s’est installé avec mon épouse. Par la suite l’Écrin est devenu compliqué à gérer et nous avons donc commencé à vendre du vin en bouteille sous le nom Georges Duboeuf.

C’est comme cela que j’ai rencontré les grands cuisiniers comme la Mère Brazier, Troisgros ou encore Paul Bocuse et que l’aventure a commencé.

 

Comment-vous est venu l’idée d’exporter votre vin à l’étranger, notamment aux États-Unis ?

 

En fait c’est une rencontre qui a créé tout cela. Le Pouilly-Fuissé est un vin qui a toujours été très présent sur le marché américain. Un jour un certain M. Dewild a contacté mon frère pour acheter notre vin. Mais il a répondu que nous n’en avions plus ! Quand je suis revenu de mon service militaire, je l’ai recontacté et nous sommes partis avec ma femme en TUB Citroën (le matelas dedans et les bouteilles en dessous) à Bordeaux pour leur livrer des échantillons. C’est à cette occasion que j’ai rencontré M. Alexis Lichine qui m’a introduit sur le marché américain.

Il ne recherchait que des vins de grande qualité, des crus… Je me rendais donc régulièrement à Bordeaux pour lui présenter des échantillons, comme le château Lachassagne. Le 5 juillet 1965 nous avions organisé une grande soirée chez le compte de la Guiche, qui possédait un château merveilleux où l’on produisait du Gamay, du Pinot et du Chardonnay. Ce sont des moments inoubliables, cette époque m’a permis d’apprendre beaucoup.

 

Peut-on dire que c’est à vous que l’on doit la fête du Beaujolais Nouveau ?

 

Le Beaujolais nouveau existe depuis bien longtemps, je ne l’ai pas inventé. La fête, peut-être bien, mais mes collègues aussi : les Piat, les Monsaint, les Thorins… Moi j’ai commencé tout petit, tout doucement, puis j’ai eu la chance de faire des rencontres comme Stéphane Collaro. Il m’a dit : « le Beaujolais Nouveau c’est marrant, vient faire l’émission avec moi sur Europe numéro 1 » ! Et voilà, nous l’avons fait quatre ans de suite. Une année, on était en direct des Champs-Élysées, on avait mis un tonneau dans la rue et on accostait les gens. On leur demandait de goûter le Beaujolais nouveau, comment est-ce qu’il trouvait cette année…

 

Qu’est-ce qui fait un bon Beaujolais Nouveau ?

 

Ah mais c’est toute une histoire ! Chaque millésime a sa spécificité, notamment en fonction du temps. En 2015 par exemple, on a eu un temps fabuleux. Pendant deux mois, juillet et aout, les mois les plus importants, on a eu 30°C tous les jours ! Nous avons eu une année merveilleuse, comme je n’en avais jamais vu. J’avais juré que 2009 était la plus grande année de mon existence mais je ne pouvais prédire que 2015 serait si extraordinaire.

Nous faisons trier les grains de raisin par des femmes, parce qu’elles sont plus méticuleuses. Cette année elles n’avaient quasiment rien à faire, les grains étaient parfaits !

Chaque dégustation est un grand moment. On découvre la couleur, les parfums, les arômes, la bouche puis la fin de bouche… C’est une passion ! Cette année nous avons dû déguster 7000 échantillons à raison de 200 par jour (en cinq heures !). Pour le Beaujolais Nouveau, on cherche des vins avec un côté très agréable, friand, gourmand. Nous n’avons pas encore commencé les dégustations des crus, mais là encore, cette année, je m’attends à des choses exceptionnelles.

 

Quelles sont les grandes tables où l’on trouve le Beaujolais Georges Duboeuf ?

 

Chez Paul Bocuse, Jean-Paul Lacombe et bien d’autres, nous avons un bon réseau de restaurateurs. À Lyon, on le retrouve dans de nombreux bistrots réputés. Ils servent les grands crus du Beaujolais mais aussi le Beaujolais Nouveau, lorsque c’est la saison. Au début du mois de novembre, j’ai envoyé des échantillons à Paul Bocuse. Il m’a dit qu’il voulait goûter le Beaujolais Nouveau ! Je lui ai répondu que ce n’était pas possible, donc la semaine dernière je lui ai quand même apporté 3 bouteilles de Beaujolais Nouveau pour qu’il fasse sa sélection. Chaque année nous avons des cuvées spéciales Paul Bocuse ou les frères Troisgros, c’est la tradition.


Que pensez-vous de la nouvelle génération de vignerons du Beaujolais ?

 

Les gens se passionnent pour le Beaujolais et c’est formidable. Beaucoup sont talentueux et chacun à sa signature. Certains sont plus connus que d’autres parce qu’ils ont su bien communiquer. A château de Juliénas ou chez Genin se trouvent des vignerons extraordinaires. Les caves coopératives sont également porteuses de cette nouvelle génération. Ils s’entourent de vinificateurs et de cavistes extrêmement compétents.

 

 

Quel plat faut-il déguster avec le Beaujolais Nouveau ?

 

Comment choisir… Chaque année est tellement différente. En 2015, je pense qu’il faudra le déguster avec une viande car il est très savoureux et plantureux.

 

Combien de temps peut-on garder un Beaujolais Nouveau ?

 

Je vais vous raconter une anecdote. Rudolph Chelminski, qui a écrit un livre sur le Beaujolais, souhaitait faire une dégustation de vin. Nous voilà donc rendus au Palais Lenôtre, à Paris, entourés de sommeliers et de Meilleurs Ouvriers de France pour une dégustation « à l’aveugle ». Nous ne leur donnions comme information que le millésime (l'année). Nous sommes partis de l’année 1976 et avons remonté une vingtaine d’années. Lorsque nous avons demandé quel était leur vin préféré pour l’année 1976, c’est le numéro trois qui a fait l’unanimité. La réponse fut sans appel : c’était le Beaujolais Nouveau !

Donc vous voyez, le Beaujolais Nouveau se garde. Soit il est bon au départ, soit il ne l’est pas. S’il est bon il se garde facilement 10 ou 20 ans. Un millésime n’est que le reflet du temps.

 

Que pensez-vous des vins issus de l’agriculture biologique ?

 

Nous travaillons avec un propriétaire viticulteur merveilleux dans le sud du Beaujolais. Tout est bio chez lui, même ses vaches. Il nous fournit un vin de très grande qualité. Le vin bio, peut-être très bien. Les Japonais nous en demandent beaucoup.

 

Le Beaujolais Nouveau Duboeuf a-t-il toujours autant de fans à l’étranger ?

Oui, nous sommes présents dans une centaine de pays. Les bains de Beaujolais au Japon, c’est déplorable ! J’ai tout fait pour l’empêcher l’an dernier, sans succès. Nous faisons de très belles choses

là-bas, mais cet événement m’horripile. 2004 fût une année record, ils nous avaient commandé un million de caisses de douze ! Aujourd’hui la moyenne est autour de 500 000.

À l’époque, la fête du Beaujolais Nouveau se déroulait le 15 novembre. Nous faisions une grande fête et les camions pleins partaient à minuit. Nous festoyons encore une ou deux heures, puis le lendemain matin je rejoignais la capitale pour prendre Le Concorde direction les États-Unis. À 9 h j’étais à New-York et la fête reprenait de plus belle !

 

Vous attendiez-vous à un tel succès ?

 

Non, c’est arrivé comme cela. D’abord, on voulait faire du bon, c’est la première chose. Ensuite, il fallait faire connaître et faire savoir, c’est très important. Nous avons de la chance car partout dans le monde, même en Afrique, on fête le Beaujolais Nouveau.

Le vin, selon moi, c’est un produit qui se partage. À l’époque, j’invitais les gens à déguster mon vin, j’avais ouvert une salle avec écrit « Halte là, venez déguster les vins Duboeuf ! ». Aujourd‘hui, c’est pareil avec le Hameau du vin, on ne raconte pas l’histoire de George Duboeuf mais celle du Beaujolais, des cépages, du terroir. Nous étions les premiers à faire de l’oeno-tourisme et maintenant tout le monde en parle, c’est très bien pour la région. Le Beaujolais est un vignoble tellement beau et différent des autres, avec des gens ouverts et chaleureux qui aiment recevoir. C’est le plus important, les vignerons incroyables qui le composent.

 

Propos recueillis par Morgane Landré pour Lyonresto.com - novembre 2015