Mag N°255 fevrier 2014
Interview de Marjorie, une prédatrice affamée
Oui, prĂ©datrice affamĂ©e, ça me rĂ©sume bien. PrĂ©datrice, parce que jÂaime bien chasser les bonnes adresses, et affamĂ©e parce que je ne refuse jamais une sortie au restaurant. JÂai un bon appĂ©tit, donc quand il sÂagit de manger ou boire un verre, je suis toujours partante. "PrĂ©datrice", cÂest bien sĂ»r Ă prendre avec humour ; je ne suis pas une sauvage qui traque ses proies. (rires)
Mes parents sont de vrais Ă©picuriens. Ils vont beaucoup au restaurant, et trĂšs jeune, ils mÂy ont emmenĂ©. JÂavais tout juste dix ans quand je suis allĂ©e chez Bocuse pour la premiĂšre fois. On ne faisait pas que de grandes tables trois Ă©toiles bien sĂ»r. Plus rĂ©guliĂšrement, on allait dans des petits restaurants, aux Halles de Lyon, dans des foiresÂ
Crédit photo : Arnaud Dauphin
JÂaime aller au restaurant et commander des plats que je nÂaime pas.
JÂai toujours baignĂ© dans cet univers. Parfois, cÂĂ©tait un peu long, surtout quand jÂĂ©tais enfant oĂč il mÂest arrivĂ© de passer la journĂ©e entiĂšre sur une foire au vin Ă attendre mes parents.
Et puis j'ai grandi, j'ai commencé à vraiment apprécier les moments passés à table, à découvrir les alliances de saveurs imaginés par les chefs et à prendre conscience du travail qu'il y a derriÚre...
Pendant mes Ă©tudes Ă lÂIDRAC Lyon, on avait un intranet pour trouver des offres de stage. J'ai vu une annonce du restaurant l'Alouette, Ă deux minutes de chez mes parents, qui cherchait une personne pour sÂoccuper de la communication et du marketing du restaurant. JÂai pensĂ© que cÂĂ©tait vraiment le stage pour moi, et quÂil fallait que je fasse tout pour le dĂ©crocher. Je lÂai eu, et cÂest lĂ que jÂai compris que je pouvais allier ma passion et le travail.
Je n'y avais pas songé avant. On était en 2006, tout le monde ne prenait pas ses plats en photo, et les boutiques n'avaient pas de page facebook. ça n'allait pas encore de soi.
Depuis, j'ai fait en sorte de lier passion et travail. En septembre 2013, j'ai monté mon agence de communication Les mots de la faim à destination des professionnels des métiers de bouche. Je suis aussi rédactrice gastronomique sur le web et dans la presse.
DĂ©jĂ , on ne se rĂ©unit pas avec de grandes capes et des Ă©pĂ©es (rires) Ă la base, cÂest un peu un prĂ©texte dÂamis pour se retrouver et partager de bonnes choses. On fait un grand repas par an, avec lÂintronisation des nouveaux chevaliers. Et puis toutes les annĂ©es, au mois de dĂ©cembre, il y a le championnat du monde du pĂątĂ© en croĂ»te.
L'idĂ©e de ce championnat a Ă©tĂ© lancĂ© par plusieurs amis qui connaissaient des restaurateurs qui leur disaient toujours « mon pĂątĂ© en croĂ»te, cÂest le meilleur ». Ils ont eu lÂidĂ©e, pour sÂamuser, de lancer un championnat pour les dĂ©partager. La premiĂšre annĂ©e, cÂĂ©tait assez confidentiel dans une petite salle des fĂȘtes. Et dÂannĂ©es en annĂ©es, l'Ă©vĂšnement a pris de l'ampleur. Ce concours apparait Ă la fois comme amusant et lĂ©ger, mais aussi tout Ă fait sĂ©rieux ; es chefs se prĂ©parent neuf mois Ă l'avance ! Et c'est ça, qui plait.
Ă choisir entre un excellent restaurant japonais et un excellent restaurant français, jÂirais plutĂŽt dans le français.
Plus jÂavance dans lÂĂąge, plus je suis ouverte Ă la dĂ©couverte et plus jÂaime de plats et d'aliments diffĂ©rents. Il y a quelques annĂ©es, je nÂaimais pas les champignons par exemple.
JÂaime bien aller au restaurant et commander des plats que je nÂaime pas forcĂ©ment pour les dĂ©couvrir et sortir de ma zone de confort. Et jÂai eu de belles surprises. LÂexemple typique, cÂest le tiramisu. Je dĂ©testais ça. CÂest le dessert qui rĂ©unissait, pour moi, tout ce que je nÂaime pas : le goĂ»t du cafĂ© trop prononcĂ© et le biscuit mouillĂ©. Et puis jÂai goĂ»tĂ© celui de Sapori e Colori, en me laissant convaincre par le chef Roberto qui mÂa dit que cÂĂ©tait un vrai tiramisu italien. Ce fut une rĂ©vĂ©lation ! Chaque fois que je vais chez lui, je prends le tiramisu maintenant. DÂune certaine maniĂšre, je pense que cÂest le plus beau compliment que lÂon puisse faire Ă un chef, en lui disant quÂon nÂapprĂ©ciait pas un plat, et quÂil nous lÂa fait aimer.
Ma prĂ©fĂ©rence va vraiment Ă la cuisine française. JÂadore les sauces, la crĂšme, le beurre, le pain et le fromage. Mais jÂaime beaucoup la cuisine italienne Ă©galement, notamment les bons plats de pĂątes et les pizzas ; toutes les charcuteries espagnoles et les cuisines asiatiques, en particulier la cuisine japonaise avec la soupe miso, les traditionnels sushis et le poisson cru plus gĂ©nĂ©ralement. Mais Ă choisir entre un excellent restaurant japonais et un excellent restaurant français, jÂirais plutĂŽt dans le français.
JÂaime autant aller dans un restaurant gastronomique Ă lÂambiance un peu guindĂ©e, que dans un petit bistrot oĂč tout le monde parle fort. Du moment que tout est fait avec sincĂ©ritĂ©, que ça se marie avec la vision et la personnalitĂ© du chef, ça me plait.
Par exemple Chez la MĂšre Brazier, je trouve quÂil y a une vĂ©ritable harmonie entre les plats mythiques qui sortent de la cuisine, la maison et son histoire. Dans ce cadre-lĂ , on ne pourrait pas trouver un service « à la cool » avec un serveur qui te tape sur lÂĂ©paule en parlant fort.
On a mangé des crevettes vivantes... c'était une expérience déroutante.
CÂest difficile de n'en choisir qu'un seul. En revanche, jÂai un souvenir extraordinaire, vraiment unique - mais pas le meilleur - du restaurant Noma Ă Coppenhague, plusieurs fois Ă©lu meilleur restaurant du monde. Je nÂy retournerai pas forcĂ©ment parce que ce nÂest pas le style de cuisine qui me fait vibrer, mais cÂĂ©tait une expĂ©rience trĂšs dĂ©routante.
La cuisine du chef est dans un esprit nordique. Il y a un cĂŽtĂ© trĂšs brut et vĂ©gĂ©tal. Il aime dĂ©ranger et titiller le client. On a mangĂ© des crevettes grises vivantes entiĂšres et mĂȘme de la carotte qui a pourri en terre pendant plusieurs mois lÂidĂ©e, cÂest vraiment de provoquer des rĂ©actions. Donc ce nÂest pas une table accessible Ă tous, en terme dÂesprit, mais cÂest Ă faire une fois dans sa vie.
Le PalĂ©griĂ©, c'est vraiment mon restaurant prĂ©fĂ©rĂ©. Ce sont des gens sincĂšres, toujours souriants, heureux dÂĂȘtre lĂ Â jÂy ai toujours passĂ© dÂexcellents moments.
Un peu dans la mĂȘme veine, Substrat restaurant qui vient dÂouvrir.
La MÚre Brazier pour sa cuisine bourgeoise et traditionnelle. Il faut goûter au moins une fois dans sa vie la volaille demi-deuil, plat mythique de la cuisine française.
Et puis chez Paul Bocuse. Quand on aime la bonne cuisine, mĂȘme si ce nÂest pas spĂ©cialement le style qui nous attire, je pense que cÂest inĂ©vitable malgrĂ© tout. CÂest un peu comme si on visitait Paris et quÂon nÂallait pas voir la Tour Eiffel. CÂest un peu un musĂ©e de la gastronomie en fait.
JÂai toujours tendance Ă rĂ©pondre non, mais je cuisine quand mĂȘme un peu, de façon assez simple. J'aime acheter de bons produits, mais je ne vais pas passer deux heures en cuisine pour les prĂ©parer. Ce nÂest pas derriĂšre les fourneaux que je vais mÂĂ©clater. Si je reçois, je vais plutĂŽt aller aux Halles de Lyon pour prĂ©parer un apĂ©ritif dĂźnatoire.
Toujours du vin ou de lÂalcool, et des pĂątes. Des bonbons Haribo aussi, mĂȘme si je ne les garde jamais longtemps parce que je peux en manger Ă mÂen rendre malade. Une vraie drogue. (rires)
Pour les pĂątisseries : SĂšve et Bouillet. JÂadore le Gloss de SĂšve, qui est un dessert avec une base de pĂąte sablĂ©e, une mousse citron et un coeur de cerise, et puis le Saint HonorĂ© de chez Bouillet.
Chez Gast, aux Halles de Lyon, ils font une super choucroute avec du bon chou et une excellente charcuterie. Je vais toujours chez Merle pour acheter des hußtres et des crustacés. Et puis je prends mon pain chez Claude. Sa baguette au levain est top.