Mag N°246 fevrier 2014
Interview de Sonia Ezgulian - blogueuse et auteur culinaire
Au tout début de l'histoire, mon mari était photographe et j'étais journaliste. On a fait ce travail pendant une dizaine d'années, à Paris, pour le magazine Paris Match. Là, on a créé une rubrique gastronomie. Si on se remet dans le contexte de l'époque, ce n'était pas du tout à la mode, donc le pari n'était pas très facile à tenir, mais on a réussi. La rubrique s'appelait Carnet Gourmand. On donnait la parole à un chef pour parler d'un produit, de ses recettes préférées et de ses astuces pour le cuisiner.
Suite à cette expérience, et à une rencontre en particulier, j'ai eu l'envie de tout arrêter pour me consacrer à la cuisine. J'ai senti que c'était l'univers dans lequel je m'exprimerais certainement le mieux. Cette rencontre, c'était avec le chef Mario Muratore. En marge d'un reportage, il nous a invité à manger dans sa petite gargote dans un jardin magnifique sur les hauteurs entre Monaco et l'Italie, et ça a été une révélation. J'ai rencontré sa maman, une mama incroyable qui cuisinait vraiment très bien. Il y a eu beaucoup d'émotions ce jour-là, et ça a été un peu le déclic.
L'histoire commence ainsi. On a quitté l'un et l'autre notre travail, et nous sommes venus à Lyon d'où je suis originaire.
Crédit : Emmanuel Auger
Faire des recettes avec des épluchures, ça a dû déstabiliser un peu, mais on s'est véritablement fait plaisir.
De 1999 à 2006, on a tenu un établissement qui s'appelait Oxalis. C'était un petit restaurant gastronomique avec lequel on s'est éclaté. On avait beaucoup de liberté, on présentait des plats qui nous ressemblaient et nous plaisaient vraiment. On a fait des choses que je trouve aujourd'hui assez gonflées, comme présenter des boites de sardines, faire des recettes avec des épluchures ça a dû déstabiliser un peu, mais on s'est véritablement fait plaisir. On était "joyeux" dans notre cuisine. C'est ce qui nous caractérise toujours d'ailleurs.
On a arrêté au bout de sept ans d'aventure avec le restaurant, parce qu'on a eu énormément de projets : des livres de cuisine, des participations à des évènements On était que tous les deux au restaurant, Emmanuel - mon mari - en salle, et moi en cuisine, donc ce n'était plus possible de tout faire.
Aujourd'hui, on est essentiellement consultants en cuisine, plutôt pour des marques de produits alimentaires que l'on aide à créer des recettes et des concepts, et puis auteurs de livres de cuisine. Je travaille aussi pour le magazine Régal dans lequel j'ai une rubrique régulière.
Aujourd'hui, je n'ai plus de restaurant, je suis redevenue une cuisinière au lieu d'un chef de cuisine. J'aime beaucoup ce mot de cuisinière. Ce qui me plait, c'est le quotidien. Mais pas la banalité. Donc on va voir comment enchanter le quotidien, faire en sorte qu'avec des petites idées il devienne poétique. Et c'est le projet que l'on a proposé aux éditions de La Martinière. C'est un beau gros bouquin, qui sortira au printemps, avec plein d'astuces, pour une cuisine décomplexée, dans laquelle on sent l'insouciance et l'envie de faire plaisir.
Pas encore. Il y aura cette idée des petits riens qui changent le quotidien, mais nous n'avons pas encore vraiment choisi le titre. On est en train de boucler les dernières photos et les textes sont en cours de rédaction, donc vous êtes au coeur de l'histoire.
Touche le lobe de ton oreille, et si la pâte a la même texture, elle est réussie.
Ma grand-mère était maraîchère, donc on était pratiquement toute la journée dans le potager à ramasser des fruits et légumes. Elle cuisinait souvent pour de grandes tablées, toujours avec beaucoup d'amour. Ces préparations étaient assez complexes et demandaient du temps. Elle avait beaucoup de courage, quand j'y repense ! Je n'ai pas de transmission écrite, parce qu'elle n'écrivait pas le français, mais j'ai plein de souvenirs avec elle. Elle me transmettait tout par des émotions, des sensations.
Par exemple, quand on faisait de la pâte à ravioles, elle me disait "d'accord, on met de la farine et de l'eau, mais ce qui important c'est de trouver la bonne texture. Et pour ça, tu touches le lobe de ton oreille, et si la pâte a la même texture, elle est réussie." Et ça, je l'ai gardé. Je suis une cuisinière très instinctive, ça ne me pose pas de problème de ne pas avoir de carnet de recettes avec des mesures exactes. Je cuisine beaucoup à l'instinct, et je pense que c'est lié à cette initiation que j'ai eue avec ma grand-mère. J'avais quatre - cinq ans quand j'ai commencé à cuisiner avec elle.
Et c'était toujours plein de petites images et d'astuces pour la cuisine. J'ai peu de pesées exactes, mais j'ai plein de sons et d'images de comparaison en tête.
Crédit : Emmanuel Auger
De plein de choses. Je me promène énormément sur les différents marchés de la ville de Lyon. J'aime bien le marché de la Place Carnot, des Quais Augagneur, de la Croix-Rousse Je lis beaucoup aussi, et de tout : l'histoire de la cuisine, des vieux livres de recettes l'année dernière, j'ai lu plein de choses sur l'histoire des pâtés et pâtés en croûte. Alors ça ne veut pas dire que je vais me spécialiser dans les pâtés, mais c'est très intéressant de voir l'évolution du savoir-faire et des recettes. Les rencontres aussi, m'inspirent. Et c'est un de mes grands plaisir. J'aime échanger avec les gens. Si je vais dans une épicerie italienne, je ne peux pas faire mes courses sans m'intéresser aux produits et en parler avec l'épicier : comment ça pousse, ce qu'on peut en faire Et puis je dessine et je fais des collages ; j'ai rempli des cahiers entiers. ça permet de me concentrer.
Ce que j'aime le plus, c'est la sincérité. ça peut paraître banal de le dire, mais c'est important je trouve. Je n'aime pas la poudre aux yeux ni les présentations prétentieuses injustifiées. Il peut y avoir une très belle présentation bien sûr, mais il faut qu'elle soit en accord avec l'esprit du chef. On le sent quand c'est en adéquation avec la personnalité du chef.
En cuisine, je n'aime pas la poudre aux yeux... ce que j'aime le plus, c'est la sincérité.
Sinon, j'aime toute les cuisines. J'apprécie la cuisine de bistrot mais aussi celle des restaurants gastronomiques. Je prends autant de plaisir à aller manger une bonne pizza qu'un repas dans un grand restaurant. Il y a peu de choses que je n'aime pas. Les tripes notamment. J'en ai mangé une ou deux fois pour faire plaisir, mais j'ai un peu de mal avec.
Et puis dans les cuisines du monde, j'ai une passion pour la cuisine italienne parce que j'ai une passion pour l'Italie, et en particulier pour Naples. J'aime beaucoup la cuisine japonaise aussi et asiatique plus généralement. Après, il y a des plats ou des produits qui m'intéressent moins, mais j'aime découvrir de nouvelles saveurs, je suis très ouverte aux découvertes culinaires.
Oui, j'ai déjà goûté. Bon gustativement parlant, ça ne m'a pas franchement intéressée. Si un jour on est obligé d'en manger, j'en mangerai. Ce n'est pas un plaisir, mais ça ne me répugne pas pour autant. Après, ça dépend aussi quel insecte. Les vers, non, je ne peux pas. Mais les termites, fourmis, criquets, oui, si on est obligé.
Le cumin, j'adore. Et toutes les saveurs un peu acidulées, comme les agrumes.
Je n'aime pas spécialement les desserts au restaurant, je préfère souvent manger deux petites entrées et un plat. Mais de temps en temps, j'aime me faire plaisir avec des petites gourmandises chez le pâtissier. Un gâteau auquel il est pour moi impossible de résister, c'est la barquette aux marrons de Sève. Elle est très gourmande, pleine de farce aux marrons.
Et puis les petits nuages en chamallow de Nuage & Caramel, qui sont vendus à l'épicerie fruits. C'est un vrai bonheur de regarder ces petits nuages tellement ils sont beaux.
Il y a un dessert arménien que j'aime beaucoup, qui est une sorte de halva. ça existe dans de nombreuses cuisines méditerranéennes, mais celui de ma grand-mère était très particulier. Elle faisait des petits cubes confectionnés à base de farine et de sirop de sucre, moelleux comme un édredon. C'était incroyable. Et ce qui est drôle, c'est que je n'en ai jamais refait.
C'est difficile comme question, j'en ai tellement. À Lyon, par exemple, j'ai fait plein de découvertes culinaires vraiment excellentes. Un plat de poulpe dégusté chez En Mets fais ce qu'il te plait : cuisson, équilibre des saveurs, tout était parfait. Une assiette de coquillages et des anchois marinés au Comptoir Thomas ! Et presque tous les repas du samedi midi que j'ai fait au Potager des Halles qui est une adresse extraordinaire.
Mon cheval de bataille, c'est la lutte contre le gaspillage alimentaire.
Beaucoup plus de recettes salées. Mes desserts sont plutôt des goûters améliorés. Je ne suis pas une grande créatrice de ce côté-là, alors je pars des grands basiques du goûter pour en faire des petits desserts convenables.
En ce moment, ce serait le pâté trognon. Mon cheval de bataille, c'est la lutte contre le gaspillage alimentaire. J'ai fait plusieurs ouvrages sur les épluchures, les restes et comment recycler les plats et là j'ai pensé et cuisiné un petit pâté autour d'un trognon de pomme. Ce qui me plait, c'est de trouver comment attirer les gens sur le terrain du recyclage alimentaire. C'est un plat assez joli et poétique, et je pense que c'est avec ce genre de proposition que l'on peut convaincre. Je suis pas là non plus pour faire la morale, pour dire aux gens de faire moins de déchet ou de manger plus de bio. Chacun fait comme il veut et comme il peut. J'aime juste l'idée de convaincre un peu par la gourmandise.
Je change complètement en fonction des personnes que je reçois. Souvent, je fais une entée à l'assiette parce que c'est toujours très joli de prendre le temps de dresser un carpaccio de poisson avec une petite vinaigrette aux agrumes, par exemple, et ensuite, je propose un grand plat, comme une belle cocotte. J'aime ce cérémonial qui va avec : on soulève le couvercle pour découvrir le plat, et puis on le partage. Et pour les desserts, je fais plusieurs petites gourmandises à picorer : un sablé, une boule de glace
Pâté autour d'un trognon de pomme
Crédit : Emmanuel Auger
Des agrumes et des légumes, c'est indispensable parce que c'est vraiment la base de ma cuisine. Souvent des artichauts, j'adore ça. Des épices, condiments, vinaigres et des boites de sardines aussi. Pour imaginer un repas de dimanche soir ou un apéro, les boites de sardines, c'est très pratique. Et puis des soupes de tomates en sachet. Je ne sais pas pourquoi, j'adore ça. Un plat réconfortant quand j'ai une petite faim, que je veux passer le temps ou que je suis en train de lire en quelques minutes, avec une bouilloire, c'est prêt. ça a un goût légèrement chimique j'adore. (rires)
J'aime bien faire du beurre aromatisé. Souvent, quand j'achète une plaquette de beurre, j'en prélève un morceau que je laisse légèrement ramollir à température ambiante, et puis je le mélange avec de la pistache concassée, de la tapenade ou des épices je reforme ensuite une boule et je la conserve dans une boîte au réfrigérateur. Ici, c'est un peu la maison du bonheur, on a souvent des amis qui arrivent à l'improviste. Donc, si en dernière minute, je dois préparer un plat de coquillettes, et bien ce sera un plat de coquillettes au beurre de tapenade. Ou un oeuf à la coque avec des mouillettes et un beurre de pistache.
On peut trouver du beurre aromatisé en épicerie, mais c'est généralement assez cher, alors que c'est très facile à réaliser chez soi, et ça ne prend que cinq minutes.
Pour un rapport qualité / prix imbattable, le midi : La Bôname de Bruno.
Le Canut et les Gones, avec une ambiance très sympa.
Le Comptoir Thomas pour la qualité du produit brut, c'est presque une cuisine de plancha.
Le top du bistronomique pour moi, ce serait Le Potager des Halles et L'Art et la Manière.
Un exotique que je trouve très sympa : Chez Terra.
Et pour une pizza à tomber, La Lambretta.
Et puis les grandes maisons : Le Palégrié, Takao Takano
Oui, j'ai très envie d'aller découvrir Marguerite Restaurant dont j'ai entendu beaucoup de bien. J'ai pris une réservation pour mi-décembre, j'ai hâte. L'institut Paul Bocuse également. Et puis Le Pavillon et L'Encart aussi.
→ Découvrir le blog de Sonia Ezgulian : l'épluche-sardine.
Article rédigé par Stéphanie Bourlion