Mag N°247 fevrier 2014


Emmanuel Faucon et le centenaire de la brasserie des Brotteaux

La brasserie des Brotteaux fête cette année son centenaire. Un décor d'époque dans lequel Emmanuel Faucon, gérant, nous a accueilli pour nous parler de l'histoire de la brasserie et des anecdotes sur les tournages de films dans la brasserie.



Pouvez-nous parler des débuts de la brasserie, de son histoire ?

La brasserie a ouvert en 1913. Le propriétaire de l'époque, Joseph Beras, avait conçu un concept de bars qui s'appelaient les Edens-Bars, où l'on ne buvait que de la bière. Quelques années après le lancement de son concept, on est tombé en pleine guerre de 14-18, et donc les hommes qui buvaient la bière ont eu autre chose à faire que de prendre le temps autour d'un verre dans un bar. Les Eden-Bars se sont un peu diversifiés dans les consommations (cafés, vins…) mais ne proposaient toujours pas de restauration. Il y avait 25 établissements au total, dans Lyon et sa périphérie, qui étaient regroupés sous la société anonyme Eden-Bars. En 1938, le fils de Joseph Beras, Henri, a pris la suite, mais n'a pas réussi à maintenir la société. Il alors vendu les établissements un par un.

Après la seconde guerre mondiale, la brasserie des Brotteaux, alors appelée l'Eden Bar, a été débaptisée et transformée en une brasserie plus traditionnelle. Elle est passée entre les mains de plusieurs propriétaires : la famille Blanc - Brude de 1948 à 1970, la famille Simon de 1971 à 1984, Michel et Christina Daumas de 1984 à 1989 et Passerat - Testard de 1989 à 1991. 

Il faut respecter le passer en le modernisant pour ne pas devenir un musée. C'est une endroit de vie ici.

L'établissement a alors eu la vie d'une brasserie en face d'une gare, avec une clientèle de voyageurs puisque la gare fonctionnait jusqu'au début des années 80. 


Comment en êtes-vous venu à travailler ici ?

C'est une belle histoire de famille. Quand ma mère était petite, elle fréquentait cet endroit avec son père qui venait y retrouver des amis. Elle s'est toujours dit qu'elle achèterait la brasserie. Mais ce n'était pas du tout son métier, elle avait des maisons de retraite, et en 1991, elle vend celle de "La Combe". Dans une soirée, un samedi, elle rencontre alors Pierre-Yves Passerat, propriétaire de la brasserie, qui lui annonce qu'il la vend. Le lundi suivant, elle vient à la brasserie, et elle l'achète. 

J'ai commencé à travailler ici, avec elle, en 1996, et je suis tout seul à la tête de la brasserie des Brotteaux depuis mes 30 ans, en 2003. Ce fut le début d'une grande aventure, parce que c'était une affaire qui était "dans son jus" depuis une cinquantaine d'années. Mon objectif était de la mettre au niveau du cadre et de son histoire, pour en faire ce qu'elle est aujourd'hui : une belle affaire. Pour faire simple, aujourd'hui on fait le chiffre en euros que l'on faisait en francs à l'époque. 


Côté cuisine, quelles sont vos envies ?

On souhaite rester sur une cuisine traditionnelle simple, en s'entourant toujours de gens qui ont une histoire et du savoir-faire. Nous avons un nouveau chef de cuisine, Julien Ducôté, depuis deux mois. Il a un beau parcours puisqu'il a été chef de cuisine chez Rostand à Paris et propriétaire de son propre restaurant dans lequel il a eu un macaron Michelin.


Connaissez-vous les plats qui étaient au menu durant les premières années de la brasserie ?

Oui, et on les a d'ailleurs refait pour fêter le centenaire de la brasserie des Brotteaux. On a eu, par exemple des oeufs mayonnaise, que nous avons revisités en leur ajoutant des lamelles de truffe, des vol-au-vent avec des Saint Jacques au lieu des ris de veau ou encore des poireaux vinaigrette que nous avons servis avec des pieds de veau. Et puis il y avait tous les plats de la cuisine lyonnaise de l'époque. 

Entre 1975 et 1990, la mode était à la cuisine alsacienne pour les brasseries. Et la brasserie des Brotteaux n'y a pas échappé. Les serveuses étaient habillées en costumes traditionnels alsaciens, on mangeait de la choucroute et on buvait de la bière. 


La décoration d'époque a été conservée telle qu'elle était en 1913. Comment la brasserie a-t-elle échappé à la dégradation ?

Dans la vie, je pense qu'il faut considérer qu'il y a une part de chance. Parfois, des lieux survivent au temps, sans trop savoir comment. Et c'est le cas de la brasserie. ça fait partie de la magie de l'endroit. 

À l'entrée, on a un porte-manteau qui date des années 30. On a retrouvé une carte postale sur laquelle il est en photo. Il devient un peu bancal, mais c'est tout. 

Après, on a les éclairages qui n'ont pas résisté au temps. Ils ont été démontés dans les années 50, où ils avaient mis de grandes boules en verre oranges, parce qu'à l'époque c'était la mode d'avoir de grands éclairages. 

Notre ligne de conduite, c'est de respecter le passé en le modernisant pour ne pas devenir un musée. Parce que c'est un endroit de vie ici. 


Michel Serrault nous a joué, pendant dix minutes, une scène de la cage aux folles en hurlant dans toute la brasserie."


Quel public attire la brasserie, selon les différents moments de la journée ?

Le matin et l'après-midi, on retrouve des gens qui aiment prendre un petit moment pour lire leur journal en buvant un café ou pour discuter. Donc ça va de l'ouvrier à l'homme d'affaires en passant par les couples d'amoureux. 

Le midi, on a essentiellement une clientèle d'affaires et de touristes. Et puis le soir, on a un grand nombre d'habitués, qui forment un noyau dur et font notre force, ils nous permettent de passer entre les gouttes pendant les périodes plus difficiles. 


La brasserie a vu passer des personnalités, notamment de la musique et du cinéma…

Pendant des années, la société PolyGram, qui était leader dans la production de musique, avait ses bureaux à quelques mètres d'ici. Ils faisaient tous les repas avec leurs vedettes à la brasserie des Brotteaux. ça nous a permis de rencontrer plein de personnalités très différentes, comme Nougaro, MC Solaar, Charles Aznavour, Lara Fabian ou encore Jean-Louis Aubert. 

J'ai une super anecdote à ce sujet, avec Peter Kingsbery, qui a repris une chanson de Starmania, traduite en anglais : Only the Very Best. Et ma mère, qui ne connaissait pas ce chanteur, lui demande "mais vous chantez quoi ?" Là, il interprète sa chanson a capella dans la brasserie. C'était superbe. 

Et puis on a assisté aux tournages de cinéma qui ont eu lieu dans la brasserie. Parmi les plus marquants, pour moi, il y a eu Vieilles Canailles avec Pierre Richard et Michel Serrault. Michel Serrault est d'ailleurs venu ici pendant plusieurs jours : c'est vraiment un extra-terrestre, il est génial. Pendant le tournage, il a eu un gros coup de stress, et pour l'évacuer, il nous a joué pendant dix minutes une scène de la cage aux folles en hurlant dans toute la brasserie. C'est mémorable ! 

Pareil avec Fabrice Luchini quand ils ont tourné Le Coût de la Vie - dans lequel il y a aussi Vincent Lindon. Fabrice Luchini est parti dans un énorme délire, en proclamant un discours improvisé dont il a le secret. 

J'ai aussi rencontré John Galliano. Je rentre un matin dans la brasserie, je vois un mec habillé à la John Galliano, alors je pense en moi-même "encore un taré qui se prend pour John Galliano". Sauf que c'était bien lui ! On a découvert un homme atypique, avec un énorme charisme, extrêmement bien élevé. C'était une belle rencontre. 

Et donc, le livre d'or de la brasserie des Brotteaux - qui date des années 90 quand ma mère a racheté l'affaire - contient de vrais petits trésors. Des mots très gentils de ces personnalités. On a aussi des dessins d'artistes, comme Fusaro qui nous a dessiné la brasserie. 


Quel est votre moment préféré à la brasserie ?

Le matin, quand les rayons du soleil passent à travers les vitres, c'est magnifique. ça fait ressortir toutes les couleurs du carrelage et la texture du bois du bar. 


Et votre détail favori ?

J'aime beaucoup les successions de couleurs des carrelages du sol et du bar. Mais je n'ai pas un endroit ou un détail préféré. Je suis tombé amoureux de l'ensemble. 



Article rédigé par Stéphanie Bourlion